Une cascade temporelle régule la diversité neuronale dans le cerveau
Dans cet article publié dans la revue Nature, les scientifiques dont un chercheur de l'Institut Jacques Monod (CNRS / Université Paris Cité) ont identifié la totalité des facteurs de transcription dits 'temporels' du système visuel de la drosophile et lié leur expression dans les cellules souches au type de neurones qu’elles produisent successivement. Le cerveau est constitué d'une grande variété de cellules neuronales qui lui permettent de remplir ses diverses fonctions. La façon dont cette diversité est générée est une question clé en neurobiologie du développement, avec des applications importantes pour les thérapies de remplacement des neurones.
Le cerveau humain est composé de milliards de neurones appartenant à des milliers de types différents. Ces neurones diffèrent par leur morphologie, leur physiologie (par exemple, s'ils transmettent des signaux rapidement ou lentement) et leur connectivité (avec quels autres neurones ils forment des réseaux neuronaux). Cette complexité permet au cerveau de remplir ses fonctions multiples. La façon dont cette complexité apparaît au cours du développement est l’une des questions centrales de la neurobiologie du développement et de la médecine régénérative. Savoir comment le cerveau humain se développe permettra de récapituler ces processus de développement pour produire in vitro des neurones spécifiques, qui pourraient alors être transplantés chez certains patients. Ceci permettrait aussi d’activer des cellules souches neuronales in vivo pour remplacer les neurones manquants dans les maladies neurodégénératives.
Chez les vertébrés comme chez les invertébrés, différents types de neurones sont produits au cours du développement du cerveau à partir d’une même cellule souche. Cette production est séquentielle, certains types de neurones étant générés en premier et d'autres plus tard. Le mécanisme par lequel ces cellules souches neuronales produisent leur diversité neuronale est de ce fait appelé patterning temporel : en exprimant différents facteurs de transcription temporels (ou tTFs) qui régulent l'expression spécifique de gènes différents dans chaque fenêtre temporelle, les cellules souches neuronales produisent des neurones différents.
Cependant, le cerveau humain est extrêmement complexe et les chercheurs se sont toujours appuyés sur des organismes modèles, comme la souris ou la drosophile (mouche du vinaigre), pour disséquer les mécanismes complexes qui interviennent dans ces processus avant de les extrapoler aux humains.
Dans cet article, les scientifiques ont utilisé le cerveau relativement simple de la drosophile pour découvrir la totalité des tTFs nécessaires pour générer plus de cent types de neurones dans le lobe optique. Ils ont utilisé le séquençage des ARNm en cellules uniques pour obtenir le transcriptome (liste de tous les gènes exprimés dans une cellule donnée) d'environ 50 000 cellules individuelles. Ces données ont permis de regrouper et d'identifier tous les types de cellules présentes dans le système visuel en développement. En se concentrant sur les cellules souches neurales, ils ont identifié les dix tTFs qui définissent les différentes fenêtres temporelles de cette région du cerveau et caractérisé le réseau génétique qui, en contrôlant l'expression de ces différents tTFs, permet à cette cascade temporelle de progresser. Ils ont également montré que l'altération de la progression de cette cascade temporelle conduit à une diversité neuronale réduite et donc à des défauts dans le développement du cerveau. En se concentrant sur la progéniture de ces cellules souches, ils ont étudié les premières étapes de leur maturation en neurones, et observé des similitudes importantes avec les processus mis en jeu au cours de la différentiation des neurones du cortex humain.
En conclusion, ces résultats ont permis d'identifier la série complète de tTFs qui explique la génération de tous les types de neurones d'une région du cerveau et de découvrir des similitudes significatives avec le développement du cerveau humain. Cela ouvre de nouvelles voies de recherche pour comprendre comment le patterning temporel a évolué chez différents animaux et pourquoi des neurones spécifiques sont générés dans un ordre spécifique.