Immersion dans la tête des bébés
Au Babylab de l’Université Paris Cité, les chercheur∙se∙s tentent de percer les mystères du cerveau des tout-petits.
Au Centre Neuroscience Intégrative et Cognition (INCC) (CNRS/Université Paris Cité), les chercheur∙se∙s du Babylab accueillent des enfants pour étudier leur développement cognitif : motricité & action, vision, langage, toucher, social & alimentation, mathématiques... les moindres réactions sont scrutées ! Les plus jeunes participants ont deux mois, les plus vieux, dix ans environ ; et 80 % des études se font avec des bébés de moins d’un an. En 2023, 1200 familles ont été accueillies.
Focus sur les recherches de deux doctorantes.
Quand l’enfant apprend à faire confiance
Cyann Bernard, en deuxième année de thèse, étudie les fondements neurocognitifs de la confiance épistémique chez les enfants, c’est-à-dire leur disposition à croire les informations qui leur sont communiquées. La confiance joue un rôle majeur dans le développement cognitif humain et l’acquisition des connaissances. Les prémices de ces recherches visent à déterminer comment l’enfant traite les affirmations et les questions qu’on lui adresse, sa capacité à ajuster ses représentations mentales et le degré de confiance qu’il accorde à l’information communiquée.
Avec des enfants d’environ 30 mois, qui possèdent un vocabulaire plus étoffé que des enfants de 18 mois, on s’attend à ce qu’ils distinguent les affirmations des questions en modifiant leur représentation mentale lorsque les affirmations contredisent leur croyance. En revanche, avec les plus jeunes, c’est moins évident : font-ils déjà la différence entre affirmation et question ? Est-ce que cela influe sur leur représentation du monde ? C’est tout l’enjeu de ces recherches.
Dans une cabine d’enregistrement insonorisée, un écran fait apparaitre puis disparaitre derrière un rideau, les uns à la suite des autres, des objets que les enfants connaissent (balle, voiture, livre…). Lorsque les objets sont cachés, une voix prononce une affirmation (par exemple : « c’est une balle »), qui ne correspond pas forcément à la réalité. La levée du rideau révèle soit l’objet vu, soit l’objet mentionné par la voix. Une seconde version remplace les affirmations par des questions (par exemple : « est-ce que c’est une balle ? »).
La réaction de l’enfant à ces différents stimuli est étudiée à l’aide d’un eye-tracker (ou oculomètre), qui enregistre les mouvements de l’œil, permettant d’identifier où l’enfant porte son regard (les zones d’intérêt) et la taille de sa pupille : « celle-ci se dilate lors d’un travail cognitif ou d’une émotion, comme la surprise. Dans le cas où l’objet révélé n’est pas le même que l’objet caché, on s’attend à ce que l’enfant soit davantage surpris après une question qu’après une affirmation où la voix annonce l’objet révélé, ce qui sera vérifié par une dilatation pupillaire plus importante », explique Cyann. Et donc, est-ce qu’il fait confiance à la voix et décide de la croire, même si ce qu’elle affirme n’est pas cohérent avec ce qu’il a vu ? A-t-il modifié sa représentation mentale de l’objet caché ?
L’impact d’une voix familière lors de l’apprentissage du langage
La thèse de Clarissa Montgomery, doctorante en 2ème année, vise à répondre à la question suivante : est-ce que la familiarité de la voix d’un locuteur facilite le traitement lexico-sémantique chez les tout-petits ? Plus particulièrement, elle s’intéresse à des enfants de 18 mois.
La plupart des études existantes sur la compréhension des mots et le développement du langage utilisent des voix inconnues. Certaines ont en revanche montré que la voix de la mère peut faciliter le traitement des mots, même chez les très jeunes enfants. « À partir de six mois, les enfants comprennent certains mots simples qu’ils entendent souvent », rapporte Clarissa. Dans le cadre de sa thèse, elle utilise une familiarisation contrôlée, avec une voix jamais entendue auparavant par l’enfant.
Avant leur venue au Babylab, Clarissa envoie ainsi aux parents volontaires sept petites histoires enregistrées à faire écouter à leurs enfants chaque soir dans la semaine qui précède. Le jour J, elle leur fait écouter une série de mots qui sont prononcés soit par cette même personne ayant enregistré les histoires, soit par une autre personne inconnue. Il peut s’agir de mots liés, c’est-à-dire du même champ lexical (ex : fourchette-cuillère), ou de mots non liés (ex : cuillère-couche).
L’activité cérébrale de l’enfant est enregistrée avec un électroencéphalogramme, à l’aide d’un petit bonnet d’électrodes. L’objectif est d’identifier si certains mots induisent le signal cérébral N400, signe de surprise suite à des stimuli inattendus – tels des mots qui ne vont pas ensemble. Cela révèle si l’enfant comprend la signification des mots et la relation entre eux, et si son traitement cérébral est similaire à celui des adultes.
D’après les premiers résultats, lorsqu’ils entendent la voix familière, un signal N400 est enregistré ; ce qui n’est pas le cas pour la voix inconnue. Cela suggère que la familiarité d’une voix – même s’il ne s’agit pas de celle de la maman – peut faciliter le traitement des mots chez les tout-petits. « Ce n’est pas synonyme d’un apprentissage forcément plus facile, mais simplement d’un traitement plus mature, plus similaire à ce que l’on voit chez l’adulte », explique Clarissa. La même étude est aussi menée avec des bébés de 14 mois (soit avant « l’explosion » du langage à 18-24 mois) et également avec des enfants bilingues, afin de vérifier d’une part si cet effet se retrouve encore plus jeune et d’autre part chez l’enfant qui apprend plusieurs langues.
Si une séance dure en moyenne entre 5 et 20 min – contrainte liée aux besoins du bébé – le temps sur place est plus long : « on va tous au rythme de l’enfant, c’est lui qui commande s’il a envie de faire ou non ! » raconte Viviane Huet, manager du Babylab et assistante de recherche.