La réforme des études de santé en France : une complexification du système qui passe à côté de l’essentiel

La réforme des études de santé, inscrite dans la loi du 24 juillet 2019 et en vigueur depuis la rentrée 2020, a mis fin à la Première année commune aux études de santé (PACES) et au numerus clausus. Dans un article paru dans la revue The Medical Teacher, les politistes Matthias Brunn, post-doctorant au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques et membre associé au Centre d'études politiques et sociales - Santé, Environnement Territoires, et William Genieys, directeur de recherche CNRS au Centre d’études européennes et de politique comparée (CEE, UMR8239, CNRS / Sciences Po Paris, montrent que cette réforme a complexifié le système d’entrée dans les études de santé tout en passant à côté d’un de ses principaux objectifs : « mettre fin au gâchis humain ».

La France a engagé en 2020 la réforme des études de santé la plus ambitieuse depuis plus de dix ans. Il en est résulté un système hybride aux parcours multiples, donnant accès aux professions de santé après concours. La réforme poursuit la tendance à l'augmentation des quotas limitant le nombre d'étudiants en deuxième année de santé, et crée également de nouvelles options locales d'accès à l'enseignement des professions de la santé. Cependant, l'hétérogénéité de la mise en œuvre a conduit, en conjonction avec les difficultés causées par la pandémie de Covid-19, à un grand désarroi chez les élèves et les parents. La réforme est jugée incompréhensible et même injuste, avec pas moins de deux commissions parlementaires ad hoc chargées de traiter certains des problèmes.

L’article publié par Matthias Brunn et Wiiliam Genieys décrit les fondements historiques du programme de réforme et soutient que la question centrale — sélectionner les étudiants parmi le très grand nombre de candidats de manière équitable et efficace — reste largement non résolue. En effet, la possibilité de sélectionner les candidats avant d'entrer à l'université demeure un tabou. Cette pratique serait, selon ses détracteurs, contraire à la valeur d'une université « ouverte à tous ».

Au lieu de cela, les acteurs de la réforme (une coalition « progressiste » et une autre « conservatrice ») se sont concentrés sur des objectifs partagés (réduire le « gâchis humain » et diversifier les profils), représentant le plus petit dénominateur commun. En conséquence, des programmes complexes ont été créés ou maintenus qui placent simplement le processus de sélection à des moments ultérieurs. En d'autres termes : la réforme a créé un labyrinthe qui passe à côté de l'essentiel.

Cet évitement représente une perte de temps et d'opportunités pour les candidats aux professions de santé, et justifie le courage politique d'aborder de front la question de la sélection avant d'entrer dans l'enseignement supérieur. Le principe du libre choix des diplômés est-il toujours aussi pertinent pour les politiques qu'il y a cinquante ans ? N'est-il pas temps de reconnaître que la sélection s'opère déjà, mais actuellement de manière implicite et parfois opaque via le système actuel (Parcoursup) ? La polémique suscitée par la dernière réforme peut en effet être l'occasion d'avoir précisément cette discussion.

Cet article est issu, entre autres, du projet REF-SANTE, coordonné par Agnès Van Zanten, directrice de recherche CNRS au Centre de recherche sur les inégalités sociales (CRIS, UMR7049, CNRS / Sciences Po Paris), et développé au sein du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Sciences Po Paris). Le projet REF-SANTE vise une analyse scientifique de la réforme depuis sa conception jusqu’à sa mise en œuvre.

Référence

Brunn M., Genieys W. 2022, Admission into healthcare education in France: half-baked reform that further complicates the system, Medical Teacher.

Aller plus loin
Brunn M., Kharkhordine M., Genieys W. 2022, La réforme du numerus clausus : un long élan brisé ?, Les Tribunes de la santé n° 71 : 71-80.

Objectifs de Développement Durable

DD

Cette recherche contribue particulièrement à la réflexion menée autour de l’objectif 3 « Permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge » et de l’objectif 4 « Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie ».