Elaine Chew | Libérer le pouvoir thérapeutique de la musique grâce aux mathématiques
Le développement de modèles mathématiques pour décrire le rôle de la performance musicale pourrait ouvrir la voie à de nouvelles applications, notamment dans le traitement de l'arythmie cardiaque. Elaine Chew, lauréate d'une bourse ERC (European Research Council), a réuni des disciplines radicalement différentes afin de stimuler et d’élargir notre compréhension de ce concept complexe et difficile à saisir.
Traduction de l'article ERC 10K Grantees - 2021
La musique et les mathématiques font partie intégrante de la vie d'Elaine Chew depuis qu’elle a commencé à donner des concerts de piano, à 10 ans. « Je viens d'une famille de mathématiciens », explique-t-elle. « Les mathématiques régissaient la compréhension et l’organisation de notre vie quotidienne. Au moment de déménager, par exemple, mon père a modélisé l'aménagement des pièces avec les meubles, pour les analyser comme des ´problèmes d’emballage´, un problème d’optimisation en mathématique. »
Le financement de l’ERC1 a permis à Elaine Chew, chercheuse CNRS au laboratoire Sciences et Technologies de la Musique et du Son (STMS, CNRS/Sorbonne Université/Ircam/Ministère de la Culture), de combiner ses deux passions et d’explorer de nouvelles frontières scientifiques. En tant que pianiste, elle a toujours été passionnée par la manière dont la musique est communiquée.
« Ce qui donne de la cohérence à un morceau de musique ? questionne-t-elle. Peut-on formaliser ce savoir et le transformer en quelque chose de traduisible, pour que davantage de personnes puisse en tirer profit ? »
Analyser les écarts de performance
Elaine Chew a voulu amener l’étude de la musique au-delà de l’accent traditionnellement mis sur les compositeurs, pour comprendre ce qu’il se passe quand la musique se transmet au public à partir de simples notes sur une page. Elle a surtout souhaité explorer, au travers de la modélisation mathématique, comment les interprètes incarnent différents morceaux et ce qu’ils transmettent à l’auditeur.
Cette approche unique rend le travail d’Elaine Chew particulièrement difficile à définir. « Mon projet se rattache-t-il plutôt à l’informatique, aux sciences humaines et sociales, à la psychologie ou aux arts ? s’interroge-t-elle. Il s’appuie aussi fortement sur mes connaissances mathématiques puisqu’il implique d’écrire des équations pour représenter des choses – en l’occurrence, la perception et la cognition de la musique. »
Le projet d’Elaine Chew réunit une équipe interdisciplinaire et complémentaire, dont les membres sont issus de disciplines académiques variées. Il donne aussi un rôle clé au public. « La performance musicale n’est pas réservée aux musiciens de formation, précise-t-elle. Tout le monde écoute de la musique. Inclure le public nous aide à comprendre jusqu’à quel point ce que la musique communique est transmissible, et ce qui est naturellement perçu. »
« La musique peut nous pousser aux limites de ce qui est humainement possible et réalisable »
- 1Créé en 2007, l’European Research Council - Conseil Européen de la Recherche - fait partie du programme-cadre européen finançant la recherche et l’innovation (Horizon 2020). Il est présidé par le mathématicien français Jean-Pierre Bourguignon depuis décembre 2013.
La musique comme médecine
Avec son équipe, Elaine Chew travaille actuellement sur une plateforme de science citoyenne (appelée aussi science participative). Appelée CosmoNote, cette plateforme sera utilisée pour mener plusieurs séries d’études musicales participatives, ciblant divers groupes d’individus. L’objectif est que la plateforme soit attractive et ludique afin de permettre à l’équipe de mener à bien ses analyses sur la performance et la perception musicale.
L’expérience vise à accroitre la compréhension de l’équipe de la performance musicale, et pourrait mener à des applications intéressantes, notamment dans le domaine de la santé. Pour Elaine Chew, cette approche mathématique pour décrire la performance musicale pourrait être utilisée pour décrire des signaux physiologiques corporels. Elle pourrait s’appliquer aux anomalies du rythme cardiaque par exemple, et ainsi fournir de nouvelles manière de représenter et de comprendre les variations dans l’arythmie cardiaque.
« Les musiciens décrivent des séquences et des structures variant dans le temps, et analysent leur déroulement, explique la chercheuse. Les techniques que nous utilisons pour traiter la musique peuvent aussi être utiles pour comprendre les signaux cardiovasculaires. »
« La musique touche toute l’expérience humaine. Elle nous détend, mais nous donne aussi envie de bouger, nous inspire et nous émeut. Il serait intéressant de permettre aux individus de façonner la musique pour qu’elle leur profite intellectuellement et mentalement, pas seulement physiquement. La musique peut nous pousser aux limites de ce qui est humainement possible et réalisable. »
A propos de la chercheuse
Elaine Chew est mathématicienne et pianiste de haut niveau. Elle est chercheuse senior au CNRS, au laboratoire Sciences et Technologies de la Musique et du Son (STMS, CNRS / Sorbonne Université / Ircam / Ministère de la Culture), et professeure invitée au King’s College de Londres. Elle a obtenu son doctorat au Massachusetts Institute of Technology (MIT) ou elle a travaillé sur la modélisation mathématique de la tonalité. En 2018, elle a obtneu une bourse ERC Advanced grant puis une bourse ERC Proof of Concept en 2020.