Dernière période interglaciaire (Eemien) et Néandertal : 20 ans de recherches à Caours (Somme) pour une nouvelle référence Européenne

Résultats scientifiques Ecologie & environnement

Une synthèse de 50 pages parue dans la revue Boreas fait le bilan des recherches interdisciplinaires menée depuis plus de 20 ans sur le site de Caours (Somme). L’étude du dépôt de tuf calcaire daté d’il y a 123 000 ans, riche en bio-indicateurs (mollusques et mammifères), nous permet de proposer une reconstitution du paléoenvironnement des quatre niveaux d’occupations néandertaliennes. Ces données constituent un enregistrement de référence pour le dernier interglaciaire (Eemien) au niveau de l’Europe de l’ouest.

Depuis sa découverte en 2002, dans le cadre d’un programme de recherche CNRS sur les périodes tempérées interglaciaires du Quaternaire, les études menées par une équipe interdisciplinaire sur le site de Caours (Somme, France) ont fourni un cortège de données paléoenvironnementales et paléoclimatiques de référence pour la période du dernier interglaciaire en Europe de l’Ouest (Eemien / - 125 000 ans). Les recherches menées à Caours au cours des différentes campagnes de fouille réalisées en collaboration avec l’INRAP depuis 2005, ont livré d’abondants témoins de la biodiversité de l’Eemien conservés dans les dépôts de tuf calcaire ainsi qu’une succession de quatre niveaux paléolithiques, riches en silex taillés et ossements de mammifères, et correspondant à autant de périodes d’occupation de Néandertal, sur le site. C’est cette conjonction, d’une extrême rareté, qui rend le site exceptionnel au niveau européen.

Le tuf calcaire est une roche sédimentaire qui se forme sous climat tempéré humide à l'émergence de certaines sources ou dans des cours d'eau peu profonds par la précipitation du carbonate de calcium (calcite) favorisée par les algues microscopiques. Ce dépôt (90-98% de calcite) fossilise par encroûtement, saison après saison, les débris végétaux (brindilles, feuilles, graines, algues...) et animaux (coquilles de mollusques, restes osseux, ostracodes...). Il constitue un véritable livre d'histoire naturelle dont chaque page ou strate raconte l'évolution progressive du paysage au fil du temps. La séquence de Caours représente un point d'observation unique des faunes de mollusques de l'Eemien jusqu'alors inconnues dans la région. Leur étude permet de retracer l’histoire des paysages, depuis les milieux froids et très ouverts de la fin de la période glaciaire jusqu'à un épisode d'optimum climatique, via le développement progressif des biotopes forestiers interglaciaires. Ce dernier est suivi d’une une période de régression de la végétation arborée correspondant à un signal de refroidissement climatique progressif. Les 25 datations, essentiellement réalisées par la méthode Uranium-Thorium sur des concrétions calcaires issues du tuf, indiquent un âge moyen de 123 000 ans en parfait accord avec les données issues des approches stratigraphiques, paléontologiques (grands mammifères, mollusques, restes végétaux encroûtés) et géochimiques (δ18O et δ13C de la calcite).

La signature géochimique de la calcite du tuf permet de reconstituer les conditions de température et d’humidité au cours de l’Eemien et de mettre en évidence un optimum climatique correspondant aux maxima des températures et des conditions d’humidité, corrélés au biotope de forêt dense indiqué par les mollusques. Dans les niveaux archéologiques ont été récoltés près de 20 000 restes osseux accumulés par les néandertaliens et qui témoignent d’une faune adaptée à un climat tempéré, comparable à l’actuel, et à un environnement boisé (cerf, aurochs, chevreuil, rhinocéros de prairie, éléphant de prairie, sanglier). De nombreux ossements portent des stries laissées par les outils de silex lors des travaux de découpe du gibier et ou des stigmates d’une fracturation intentionnelle pour en extraire la moelle. Les outils nécessaires à ces tâches ont été confectionnés sur place, à partir de rognons de silex prélevés dans les graviers du Scardon. Le transect stratigraphique de 300 m de long qui recoupe la terrasse supportant la formation de tufs calcaires, ainsi que les sédiments du colmatage de fond de vallée, couplé aux datations OSL réalisées sur les dépôts et sols conservés à la charnière entre les deux paliers, nous permet de caler pour la première fois avec une grande robustesse la phase de creusement de la vallée actuelle (incision) au tout début de la période froide suivante (entre 100 000 et 90 000 ans environ).

La mise en évidence de quatre niveaux paléolithiques distincts datés de l’Eemien en association avec des restes de grands mammifères et des traces de foyers constitue la première démonstration de la parfaite adaptation de Néandertal à un environnement tempéré forestier et incontestablement une découverte majeure pour la connaissance du Paléolithique moyen récent européen. 

Vue générale du site de fouille de Caours en 2010. Crédit : P. Antoine

Référence

Antoine, P., Limondin-Lozouet, N., Dabkowski, J., Bahain, J.-J., Ghaleb, B., Reyss, J.-L., Auguste, P., Sévêque, N., Jamet, G., Jolly-Saad, M.-C., Gauthier, A., Lebreton, L. and Locht, J.-L. (2024), Last interglacial in western Europe: 20 years of multidisciplinary research on the Eemian (MIS 5e) calcareous tufa sequence at Caours (Somme basin, France) – a review. Boreas.

Laboratoire de la circonscription impliqué

Laboratoire de géographie physique : environnements quaternaires et actuels (LGP, CNRS/Univ. Panthéon-Sorbonne/UPEC)