Binge-eating : rétablir le dialogue entre l’intestin et le cerveau
Dans une étude publiée le 24 janvier 2022 dans la revue Molecular Psychiatry, l’équipe scientifique « Contrôle central du comportement alimentaire et de la dépense énergétique » de l'Unité de biologie fonctionnelle et adaptative (CNRS/Université de Paris/INSERM) a trouvé une nouvelle voie de contrôle de l’appétit reliant l’intestin et le cerveau, qui pourrait être à l’origine des troubles alimentaires de type compulsif, autrement connus sous le nom de binge-eating. En agissant sur cette voie grâce à des molécules ciblant le système des endocannabinoïdes, les chercheurs et chercheuses ouvrent une nouvelle perspective de recherche thérapeutique.
Le cerveau régule la prise alimentaire principalement selon deux modalités. La première prend en compte les besoins en énergie de l’organisme nécessaires à sa survie et est régi par l’hypothalamus, qui dicte les sensations de faim et de satiété. Mais la prise alimentaire est aussi gouvernée par les envies ou le plaisir de manger. Cette envie fait appel à une autre partie du cerveau associée à la libération de dopamine : le système de la récompense. Ces deux circuits de régulation coexistent en permanence et gouvernent la structure basique de la prise alimentaire : je mange pour survivre et je mange ce que je choisis.
Un nouveau régulateur : l’axe intestin - cerveau
Pendant longtemps, il était admis que ces deux circuits travaillaient en parallèle et géraient les différents aspects de la prise alimentaire. Aujourd’hui, les chercheurs découvrent un nouveau mécanisme régulant la prise alimentaire, qui ne se situe pas dans le cerveau mais en périphérie : l’axe intestin-cerveau et plus particulièrement le nerf vague. Ce dernier est le plus long de l’organisme et les neurones contenus dans ses ganglions assurent le relais intéroceptif c’est-à-dire la communication entre le cerveau et les viscères que sont l’estomac, le foie, l’intestin, le pancréas….
Dans l’étude réalisée par la Dr Chloé Berland et dirigée par le Dr. Giuseppe Gangarossa, enseignant-chercheur à Université de Paris, les chercheurs et chercheuses de l’équipe « Contrôle central du comportement alimentaire et de la dépense énergétique » ont travaillé avec des souris dont le comportement n’est pas sans rappeler les troubles alimentaires associés au binge-eating. Ces souris, en plus d’avoir accès à leur nourriture habituelle – des croquettes à volonté – avaient également la possibilité de manger, tous les jours mais pendant une heure seulement, une nourriture appétissante riche en gras et en sucre. Parce que les souris avaient accès à toute heure à de la nourriture, ce modèle a permis de se concentrer principalement sur les circuits cérébraux qui contrôlent la prise de nourriture hédonique.
De jour en jour, les scientifiques ont observé que les souris consommaient de plus en plus cette nourriture appétissante et de moins en moins leurs croquettes. Ils ont donc pu observer la mise en place d’un trouble alimentaire compulsif, le binge-eating. Les souris attendaient chaque jour plus impatiemment l’arrivée de cet aliment appétissant, ce qui se traduisait par une modification significative de leur comportement physiologique et métabolique ainsi que par une augmentation de la dopamine, médiateur de la récompense, le tout renforçant le comportement compulsif de binge-eating.
Mais, imaginer que le comportement compulsif se limite à une action purement cérébrale serait réducteur alors que le chemin qui amène l’information nutritionnelle au cerveau est long et commence dans le tractus gastro-intestinal. Chez l’Homme comme chez la souris, l’ingestion de nourriture active le nerf vague et donc l’axe vagal intestin-cerveau. L’équipe de recherche a mis en évidence que lorsque les souris entrent dans leur phase compulsive de binge-eating, le taux d’endocannabinoïdes périphériques sécrétés par l’estomac et l’intestin, augmente et inhibe cet axe vagal ce qui entraîne une réduction de la satiété conduisant les souris à manger davantage. Comme un cercle vicieux, le binge- eating engendre le phénomène de récompense compulsive. Au contraire, l’inhibition du récepteur de ces endocannabinoïdes (appelé récepteur CB1) conduit à une activation de la satiété par le biais du nerf vague, donc à une réduction du phénomène de récompense et ainsi à une réduction du comportement alimentaire compulsif.
Vers une nouvelle thérapeutique
Ainsi, les aliments riches en graisse et en sucre, une fois dans l’estomac favoriseraient la sécrétion d’endocannabinoïdes et donc participeraient à l’origine des phénomènes de binge-eating, et ce par des voies plus complexes que leur simple goût attractif ou l’affect émotionnel que nous leur associons.
De précédentes études cliniques chez l’Homme visaient à réduire l’appétit et le poids en utilisant des antagonistes qui, en inhibant les récepteurs des endocannabinoïdes, déclenchaient la sensation de satiété limitant alors la prise alimentaire. Mais ces molécules présentent un souci majeur : elles passent la barrière hémato-encéphalique qui protège le cerveau de ce qui se passe à l’extérieur. Ce faisant, elles sont à l’origine d’effets secondaires indésirables et conséquents comme des troubles psychotiques, des dépressions…
Dans la présente étude, les nouveaux antagonistes utilisés modulent l’activité de l’axe vagal intestin-cerveau mais ne passent pas la barrière hémato-encéphalique : on les appelle antagonistes périphériques. Ceci laisse espérer une réduction des effets secondaires vus avec les traitements déjà disponibles. Par ailleurs, cette étude révèle l’importance d’étudier la connectivité fonctionnelle corps-cerveau et les processus d’intéroception comme leviers pour agir sur certains troubles métaboliques mais aussi psychiatriques. Ces résultats ouvrent des pistes intéressantes qu’il reste à étudier chez l’Homme. Si elles s’avèrent aussi bénéfiques pour l’Homme, cela constituerait une avancée majeure en matière de santé pour limiter le développement de pathologies secondaires comme l’obésité, le diabète…
Contact
Giuseppe Gangarossa
Enseignant-chercheur de Université de Paris
giuseppe.gangarossa@u-paris.fr
Samira Techer
Assistante presse CNRS
+ 33 1 44 96 51 51
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Presse Université de Paris
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